Tu es né un soir de février. Après dix-huit heures de combat entre mon corps et la vie. Tu es né par césarienne, presque en douceur malgré tout. Et tu étais là. Entier. Parfait. À croquer. Tout le monde disait : « Quelle merveille. » Et moi, je souriais. Je savais comment t’occuper, comment te tenir, te changer, te bercer, te consoler. Mais je ne savais pas comment t’aimer. Et ça, je n’ai su le dire à personne.
Pas même à toi. Surtout pas à toi. Je t’ai regardé comme une étrangère regarde un enfant qu’on lui confie. Avec tendresse, oui. Mais sans l’abandon. Sans la fusion qu’on m’avait promise. Sans cette vague d’amour inconditionnel qu’on vend dans les magazines de maternité.
Je n’ai pas su t’allaiter. Je n’ai pas su me connecter. Je n’ai pas su être mère, pas comme on me l’avait expliqué. J’étais perdue. Je culpabilisais. Perdue dans mes hormones, dans mon corps abîmé, dans mes démons qui remontaient. J’aurais voulu te dire :
Je suis désolée mon petit homme. Je ne sais pas comment t’aimer. Et ça me fait peur.
Mais j’ai gardé le silence, encore une fois. Alors j’ai fui. Pas dehors. Mais dedans. Je me suis retirée de la vie. Je suis retournée dans ma prison intérieure. Celle des gestes automatiques. Celle des sourires qui ne veulent rien dire. Celle des femmes qui ne savent plus comment respirer. Puis j’ai tout perdu. Lui. Moi. Toi. J’ai glissé si loin qu’il n’y avait plus rien à quoi me raccrocher. Sauf l’idée que je ne voulais pas mourir. Pas encore. Pas comme ça. Alors j’ai consulté. J’ai parlé. J’ai pleuré. J’ai mis des mots sur mes gouffres, des couleurs sur mes colères, des contours sur mes silences.
Et j’ai commencé à reconstruire. Un lien. Un amour. Un regard. Il m’a fallu neuf ans. Neuf années pour comprendre ce qu’est être mère. Vraiment. Pas parce qu’il faut. Pas parce que je le dois. Mais parce que c’est là. En moi. Partout. Aujourd’hui, je suis fière de toi. Je t’aime. Et je me réjouis de chaque jour à tes côtés.
Je veux que tu t’aimes, toi. Que tu te fasses confiance. Que tu ne doutes jamais de ta valeur. Parce que moi, je l’ai cherchée trop longtemps. Et si j’ai mis du temps à t’aimer, sache que je t’ai toujours porté. Même maladroitement. Même brisée. Mais jamais sans intention.