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Celle qui dessinait pour respirer

À douze ans, j’ai perdu une amie que je n’avais pas vraiment eue.  Anne-Laure. Elle était cette présence silencieuse, épisodique, toujours absente pour les mauvaises raisons. L’hôpital avalait ses jours, mais elle continuait d’exister dans ma mémoire. Elle est morte trop tôt. Et moi, je suis restée. Encore. Comme toujours. Je ne me souviens pas avoir pleuré. J’ai juste senti un vide de plus dans ma cage thoracique. Un de plus. Un parmi tant d’autres. C’est à peu près à ce moment-là que j’ai commencé à m’éteindre. Je devenais femme dans un monde qui n’aimait pas les femmes. Je devenais corps dans un monde qui ne regardait que la chair. Je n’étais plus une enfant. J’étais une cible.

On m’appelait Marie couche-toi-là. Dans les couloirs. On me sifflait. Dans les chantiers que je devais traverser pour rentrer chez moi. Les ouvriers ne posaient pas des mots : ils projetaient leurs désirs. Et moi, je disparaissais derrière leurs regards. Mais ce n’était pas qu’à l’extérieur. À l’intérieur aussi, j’étais un objet. Mon père n’avait pas besoin de mots pour me faire comprendre ma place.Un coup de pied. Un hurlement. Une humiliation. Puis l’oubli. Ou plutôt l’effacement. Un camarade de classe a tenté de me forcer un jour. Je ne me souviens pas si j’ai crié. J’ai dit stop, j’ai dit non mais ç an’a pas suffit. Je crois que je me suis tue. Encore.

Je dessinais pour ne pas hurler. Je créais des mondes sur papier, des visages de femmes puissantes, des paysages intérieurs que je ne savais pas habiter, des maisons que j’imaginais en sécurtié. C’était mon refuge. Mon souffle. Ma seule manière d’exister autrement. Mon corps ne m’appartenait pas. Il appartenait aux autres. À ceux qui me jugeaient, me désiraient, me rejetaient, me cataloguaient. Moi, je n’étais qu’une vitrine qu’on dévisageait et salissait d’un mot. 

Mon entourage ? Sourd. Incapable. Ou complice, peut-être, à force de ne pas vouloir voir. Ce qu’il m’aurait fallu ? Être écoutée. Être reconnue autrement que par mes courbes ou mes erreurs. Entendre qu’on croyait en moi. Que j’étais plus que la somme de mes silences et de leurs regards. Mais je n’étais pas assez brillante. Pas assez gentille. Pas assez conforme. Pas assez. Alors j’ai continué à me taire, à sourire, à m’adapter. À survivre dans un monde qui m’apprenait que mon existence devait s’excuser d’avoir pris de la place.

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