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Celle qui ne dormait jamais

J’ai longtemps cru que la fatigue était une vertu. Que dormir moins, c’était vivre plus. Que la réussite ne méritait pas de repos. Alors j’ai construit ma jeunesse comme un monument à la performance. Une main sur mes cours, l’autre sur un ticket de caisse ou un chiffon de poussière. Étudier. Travailler. Tenir. Avancer. C’était ma fierté. Pas mes notes, pas mes dessins, pas mes classements.

Mais cette capacité à tout faire de front, à tout encaisser. Comme si la résistance au sommeil allait finir par remplacer l’amour qu’on ne me donnait pas. Je n’ai jamais su ce que ça voulait dire : être soutenue. Même les félicitations, chez moi, avaient des échardes. Quand j’échouais, il me grondait. Quand je réussissais, il me rappelait que j’aurais pu faire mieux. Quand je ne comprenais pas, ma tête rencontrait sa main ou le bureau. Il appelait ça de la pédagogie. Moi, j’appelais ça la honte de ne pas être à la hauteur.

Je ne faisais pas des études pour moi. Je faisais des études pour qu’on me voie. Pour qu’on me dise « bravo ». Pour qu’on me garde. J’ai intégré une grande école. « Boulle ». Une école qui faisait briller les rêves de ma mère, plus que les miens. Et j’ai tout fait pour honorer ces rêves-là. À tel point qu’elle a fini par venir s’y inscrire aussi, elle, dans la même école que sa fille.

Nous étions deux générations côte à côte, à tenter de rattraper un passé, à donner du sens à des blessures. Je n’ai pas de souvenir précis d’une journée typique. Je ne veux pas vraiment en avoir. Je me souviens surtout du train. Trois heures par jour. Du vent qui gifle à la gare. De la fatigue. Du manque d’argent. Des repas sautés. Des angoisses dans le ventre. De cette solitude qu’on camoufle sous les efforts. Je n’avais pas de vie étudiante. Je n’avais pas les moyens. Je n’avais pas les mots. Mais j’avais ma rage.

Et avec elle, j’ai fini 3ᵉ de France. On ne m’a pas fêtée. On ne m’a pas serrée dans les bras. On m’a dit : « Tu vois, t’aurais pu être première. » Et dans cette phrase, j’ai compris. Qu’il n’y aurait jamais assez de moi pour les combler. Qu’il faudrait toujours que je donne plus que ce que j’ai. Qu’à leurs yeux, je n’aurais jamais ma place. Mais à force de la chercher chez eux, j’ai fini par la prendre ailleurs. Et cette place, je suis en train de la construire.

À ma manière. Sans leur approbation. Mais avec mon courage.

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