Un jour, une mariée m’a dit : “Tu fais de belles photos, mais je ne me reconnais pas. C’était après son mariage civil. Elle portait un sourire poli sur ses lèvres, mais ses yeux cherchaient encore la femme qu’elle aurait dû être. Cette phrase m’a traversée. Comme une flèche douce. Pas un reproche. Une vérité nue. Elle a commencé une thérapie. Elle a plongé dans ses failles. Et moi, j’ai compris ce que je pouvais offrir. Pas une photo.Un miroir. Pas un reflet. Un retour à soi.
Quelques mois plus tard, elle m’a appelée pour une séance boudoir. Elle voulait se retrouver. Se réconcilier avec son corps, son image, son histoire. Ce jour-là, j’ai vu une femme tomber amoureuse d’elle-même. Et j’ai compris que c’était ça, ma mission. Je ne déclenche pas l’obturateur pour faire une “jolie photo”. Je capte une vibration.
Un battement. L’éclat discret d’une âme qui dit enfin : “Je suis là.” Mon regard voit ce que les autres ne savent plus regarder. Une lumière dans les yeux. Une faille devenue force. Une douceur camouflée sous des couches de protection. Je vois l’essence, le talent, la beauté brute. Je vois ce qui mérite d’être révélé. Je vois ce que même elles ont oublié.
Photographe.
Femme.
Guérisseuse.
Je suis tout cela à la fois.
Et c’est cette hybridité que je célèbre.
Je suis hors case, hors norme, hors système.
Et longtemps, j’ai pensé que c’était une erreur. Une tare. Un problème à corriger.
Aujourd’hui, je sais que c’est ma force.
Mon entreprise n’est pas née d’un rêve d’enfant. Elle est née de la nécessité de survivre. De cette fatigue profonde de me perdre dans un monde qui n’avait jamais fait de place pour moi. J’ai fui les open spaces, les chefs tyranniques, les horaires étouffants. J’ai fui pour mieux me retrouver. Dans la campagne fribourgeoise. Dans le silence. Dans la lenteur.
Je me suis construite à l’envers. J’ai choisi l’isolement, non comme une punition, mais comme une gestation. Et dans ce vide-là, j’ai laissé naître ma voix. Ma vision. Ma puissance. Aujourd’hui, je sais que je suis à ma place. Parce que tout mon corps me le dit.
Parce que ce que je fais me traverse, me remplit, m’excite.
Parce que je ne suis plus dans la performance, mais dans l’alignement.
Et si j’ai tenu, c’est parce que je n’ai jamais cessé d’y croire.
Même quand on voulait me plier.
Même quand on voulait m’éteindre.
Même quand je n’étais que fatigue, dettes et doutes.
Je suis là.
Debout.
Et chaque femme que je photographie me rappelle pourquoi je n’ai pas cédé.